Une journée en fauteuil (2)

Cet article est en deux parties. Si vous n’avez pas lu le début, il est disponible en cliquant ici.

Ce jour là, à Paris, il y avait une manif. Alors, une fois arrivées sur les lieux, nous nous sommes mises à remonter le cortège, sur le trottoir. Les rares personnes que nous devions dépasser -la majorité étant sur la route- se poussaient l’air gêné dès qu’elles remarquaient ma présence, elles tapaient sur l’épaule de leurs voisins en leur jetant un regard empressé, l’air de dire : ¨Pousse toi, tu ne vois pas que la pauvre demoiselle en fauteuil essaie de passer ? » Soit. Pourquoi pas. Mais je suis heureuse, vous savez ? Une chose m’a fait sourire, alors que nous filions le long de la manifestation. Ce jour là, en plus du fauteuil, j’avais une attelle au poignet, et, alors que nous dépassions un groupe de jeunes, l’un d’eux a couru vers moi en rigolant, me tendant son poignet lui aussi couvert d’une attelle : « Viens, on fait une manif des handicapés ! » C’était génial. J’étais redevenue à ses yeux une ado tout comme les autres, à qui on pouvait parler, avec qui on pouvait rigoler. Jeune homme, si tu te reconnais, sache que je t’ai aimé très fort, à ce moment précis. ♥

Une fois notre ami repéré dans la foule, il a fallu progresser jusqu’à lui. Et là, je me suis rendue compte de cette capacité inexploitée du fauteuil roulant : la cape d’invisibilité ! Quand tu es en fauteuil et que quelqu’un se pousse, on s’adresse toujours à cette personne : Myriam recevait donc toutes les excuses des ceux que l’on heurtait. Oui, parce que quand tu es en fauteuil et que tu cognes quelqu’un, c’est cette personne qui s’excuse, pas toi ! Tu peux jouer aux autos-tamponneuses et personne ne te gronde, tout le monde s’écarte en culpabilisant. Nous avons testé pour vous « rentrer volontairement dans des gens à faible vitesse », et, dans 100% des cas, la cible bafouille, s’excuse et s’écarte. C’était bien drôle. Et préoccupant quant à l’image qu’ont la plupart des personnes des gens en fauteuil.
Comme le dit Wheelcome « Et je suis super vexée que même la police me considère comme un bisounours, et ne me prenne même pas au sérieux. J’aurais trop aimé être une grande criminelle, crainte et menaçante, mais on me prive du droit fondamental d’être méchante ! C’est hyper frustrant.« 

A un moment, mon fauteuil a frotté contre un monsieur avec un enfant dans les bras. Il m’a regardé, l’air surpris, m’a dit qu’il ne m’avait pas vue. J’ai essayé de dédramatiser avec le sourire vu son air affolé : « C‘est vrai que je suis un peu bas, on ne me voit pas bien. » « Non non, c’est pas ça, je ne vous ai pas vue à cause de mon fils ! » Et il s’est enfui, l’air complètement paniqué. Un peu comme une poule lorsqu’elle se rend compte qu’elle n’a qu’un seul neurone. Hé, monsieur, c’est pas la fin du monde de se cogner dans quelqu’un, même si l’une des deux parties concernée a des roulettes !
Devant l’air coincé de toutes ces personnes, j’ai failli leur faire une blague : me lever en tremblant et crier au miracle car j’arrivais à marcher ! J’aurais bien rigolé, eux peut-être moins. Encore un problème : pour la plupart des humains qui se promènent dans ce pays, quelqu’un en fauteuil a perdu définitivement et irrémédiablement l’usage de ses jambes… et non ! Le fauteuil est un outil également utilisé pour se reposer / soulager / ne pas forcer.

Ce qui m’a vexée, c’est aussi la photo de groupe prise à la fin de la manif. Avec Myriam, on était venues pour un ami, pas pour prendre parti -surtout qu’on ne connaissait que lui dans le groupe. Et là, on m’attrape et on me met devant. Sans le fauteuil, je n’aurais jamais été sur cette photo. J’avais l’impression qu’une pancarte trônait au dessus de ma tête : REGARDEZ ON EST DES GENS COOLS ON AIME LES HANDICAPÉS. Hermine, bien attrapée. Sur le coup, j’ai pas trop su quoi dire, je n’ai pas trop osé râlé, ils étaient trop nombreux. Et je n’avais pas encore le courage de taper un scandale devant tant de monde. Je le regrette beaucoup maintenant, ce manque de réaction de ma part.

Ce qui m’a marqué, également, c’est le fait d’être aussi passive. Avec mes bras fragiles, je ne pouvais pas aller bien loin toute seule, j’avais très vite mal. De toutes façons, diriger le fauteuil était un peu délicat. Alors, on me serrait les freins pour que je ne glisse pas, et je me retrouvais coincée : une pauvre petite crevette dans un gigantesque filet de pêche. Je me laissais faire. On me roulait, on me promenait, heureusement que j’avais encore de la voix pour rappeler mon existence !
Un ami m’a même attrapée et nous a transformé en voiture de course sur les pistes cyclables : le fauteuil tremblait, je me cramponnais, les passants nous regardaient de travers et nous riions aux éclats. Ça, c’était un moment chouette.

Oui, l’accessibilité est loin d’être acquise, les personnes en fauteuil encore considérées comme étranges, incapables de communiquer ou d’être comme tout le monde, les roulettes ne sont pas des pieds comme les autres pour pas mal de gens, mais mon bilan de cette journée est plutôt positive : dans le SED, le fauteuil roulant est un allié de choix ! Il m’a permis de passer une journée avec des amis sans craindre de crise le lendemain, de fatigue extrême ou de douleurs insupportables ; il m’a permis d’être un peu plus insouciante, d’arrêter d’estimer le nombre de pas que je pouvais encore faire, de vérifier l’heure à laquelle nous devions rentrer, de craindre chaque escalier ou pente un peu raide.
Être une Hermine sur roulette, c’est un peu chouette !

L’éducation de beaucoup de personnes est encore à faire ! Pour cela, vous pouvez aussi agir, et il suffit de petits gestes : si vous trouvez que cet article en deux parties vous a ouvert les yeux ou si vous vous êtes reconnus, vous pouvez le partager. Vous pouvez également engager la discussion avec des amis lorsque vous entendez de gigantesques idées reçues sur le handicap. Vous pouvez aussi leur proposer de lire des blogs traitant de différentes formes de handicap, comme celui-ci, celui-là, celui-ci ou celui-là.
Merci de votre visite et de vos messages, à tout bientôt ♥

9 commentaires sur “Une journée en fauteuil (2)

  1. je decouvre ton blog, et je tombe sur cet article…qui date certes, mais j’aime la manière dont tu en parle…je la trouve tres réelle , à la fois tendre et touchante…
    je sais pas si tu as eu d’autres journée fauteuil depuis , mais en tout cas bravo d’avoir passé ce cape, où le fauteuil devient un allier pour te soulager et te permettre de vivre quand même des choses avec tes amis…
    au plaisir de te lire ;)

  2. Merci pour cet éclairage. J’espère que tu n’en auras pas trop besoin cette année mais en même temps c’est bon de savoir que ça peut te dépanner. Certaines personnes n’ont pas le choix, c’est en en parlant qu’on pourra faire changer un peu les réactions vis à vis des situations de handicap. Merci hermine !

  3. L’autre jour, j’ai repensé à cet article que tu as écrit. Je faisais la queue à la caisse du supermarché, quand un homme en fauteuil roulant est arrivé derrière moi. Je me suis dit : « Je lui propose de le laisser passer ? Moi, à sa place, ça m’aurait un peu énervée qu’on me laisse passer devant juste parce que je suis en fauteuil… Mais bon, je sais pas ce qu’il en pense. » Donc je lui ai proposé et il a refusé (ça va, il avait pas l’air énervé). Ensuite, en avançant, les roues de son fauteuil me sont rentrées dedans, il s’est excusé tout de suite, et moi : « C’est bon, pas de souci! » Est-ce que je ne me serais pas contentée de sourire s’il m’était rentrée dedans sur ses deux jambes ? J’en sais rien.
    Bref, merci pour tes articles qui donnent à réfléchir ! :)

  4. C’est super que tu aies pu dépasser cette crainte du fauteuil et le prendre comme un allier plutôt que comme un ennemi, profiter de tes amis et de cette journée.
    Je suis dans le même cas que toi, pour le moment je ne suis pas prête à le faire et je me prive, tu as plus de sagesse que moi ;)

  5. Waw, encore une fois super écrit, so nice ;)
    C’est que tu relèves en permanence beaucoup de détails que depuis mon fauteuil électrique je ne remarque même plus tellement. D’un coup je me trouve « létargique » dans ma relation aux marchants qui multiplient les réaction incohérentes mais surtout preuve de leur ignorance.

    Et les exemples ne manquent pas :
    – du chauffeur de bus qui réalise à voix haute « Oh putain, il faut descendre l’handicapé c’est vrai ! » ;
    – à la dame qui par bienveillance veut me laisser sa place dans la file à la caisse alors que sur le moment rien qui ne soit causé par mon handicap justifierai d’accepter… Sauf que rien ne lui fait non plus entendre raison – et là on fait quoi ? je vais pas faire mon lama et lui cracher à la figure… alors à défaut de diplomatie qui vient dans l’instant, la proposition fini par être acceptée sans trop avoir compris tellement tout est allé vite ;
    – …

    Au final une seule règle que je m’impose pour faciliter les choses : expliquer les choses de façon positive encore et toujours, inlassablement :P Mais parvenir à atteindre un niveau de communication plus avancé pour faire comprendre que personne en fauteuil roulant n’est pas toujours un saint reste compliqué, trop peu de gens bénéficient d’une explication : probablement un point sur lequel il conviendra de m’améliorer !

    Bref, tant mieux que cet outil te soit positif, c’est le genre de solutions qui sont difficile à concevoir tant qu’on à jamais testé, avant de se demander pourquoi on n’en a pas voulu plus tôt le jour ou l’on découvre ses bienfaits quotidien… Il s’agit évidemment du fauteuil roulant, mais ça reste applicable bien plus largement : antidouleurs, canabis (mdr), canne à pince pour ramasser les objets tombés, reconnaissance vocale ou matelas médical…
    Heureux de lire quelqu’un de si positif ;)

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