Douces maladresses

Parfois, les gens réfléchissent après avoir parlé, puis s’en veulent un peu. Ils ont dit quelque chose qui a blessé, qui a fait du mal, gâché une surprise ou révélé une information qui aurait dû rester secrète. Mais, parfois, ils s’en veulent alors qu’aucun mal n’a été fait. Ils m’ont même fait rire, sans trop le savoir.

Mardi dernier, j’ai eu cours de Sciences de l’Ingénieur -j’ai choisi cette matière à la place de la SVT, je suis donc en terminale S-SI.
En ce moment, je monte un projet sur les sons avec mon groupe : deux d’entre-nous étaient chargés de faire des acquisitions, d’un claquement de mains accompagné d’un son en continu . Un des garçons cliquait pour lancer l’enregistrement et ma seule camarade féminine tenait un haut-parleur diffusant ledit son. Il manquait quelqu’un pour taper dans ses mains !
Alors elle m’a appelée de l’autre bout de la salle, me demandant si j’étais occupée et je suis arrivée, ignorant ce qu’elle attendait de moi. Son visage s’est figé, tout son corps a fait une pause de quelques longues secondes, ses doigts toujours serrés autour de l’enceinte. Puis, elle a articulé, comme très gênée : « Euh, est-ce que tu peux tenir ça ? » Tout en me tendant le boitier noir qui n’avait cessé de brailler.
En la voyant taper dans ses mains, j’ai tout de suite compris : j’avais mes mitaines magiques ! (je vous ferai un article dessus, elle sont trop chouettes. En vrai, ce sont des gants de compression, qui calment les douleurs et permettent aux articulations de rester emboîtées) Et, avec mes mitaines magique, quand je tape dans mes mains, ça ne fait pas beaucoup de bruit ; une fois les mains libres j’ai essayé de frapper mes paumes l’une contre l’autre de toutes mes forces, et il y a juste eu un pauvre pop. Pas terrible.
Mais ça m’a tellement fait rire de voir la tête déconfite de mon amie que j’en ai eu les larmes aux yeux : elle n’avait pas osé me dire ce qui n’allait pas, pourquoi je ne pouvais pas aider de cette façon !

Ce soir, c’était une surveillante très gentille de permanence à l’internat. Très gentille, mais un peu malchanceuse : toutes les soirées gastro, alarme incendie, chahut dans l’internat ou élèves disparues, c’est pour elle !
A vingt-deux heures vingt, elle est passée dans ma chambre un peu en retard, pour vérifier que j’étais là et me cocher sur sa longue liste. Elle est restée quelques instants au seuil de mon petit coin de vie, en me souhaitant bonne chance pour le devoir du lendemain matin. Son regard s’est attardé sur mon mur, patchwork coloré de photos d’avions et de dessins animés de Miyazaki ; elle a eu un petit sourire et ses lèvres ont articulé, comme ça, spontanément : « Vous voulez faire pilote de chasse après ? »
Tout a dû défiler très vite dans sa tête. Mince, cette élève là, cette jeune fille précise, je la connais bien. C’est celle qui a souvent mal au dos, qui parfois le soir reste allongée, qui rate des cours. Mince, ça ne doit pas être facile de devenir pilote dans ces conditions. Mince, ça ne doit même pas être possible. Double mince.
Spontanément, je lui ai répondu que je ne pourrai pas à cause de mes problèmes de santé. Ce qu’elle venait de comprendre seule. Alors, elle a laissé échapper une sorte de « Ah », à la fois gêné, embarrassé et doux. Puis elle a refermé la porte, est allée terminer l’appel.
Mon deuil de l’aviation, je l’ai terminé il y a plusieurs mois déjà. C’est vrai qu’un an auparavant, cette question m’aurait fait mal, mais pas ce soir là, mais plus ce soir là. Non, rien de douloureux n’avait été ouvert lorsque j’avais prononcé problèmes de santé, rien ne m’avait fait monter ne serait-ce qu’une ou deux larmes. Par contre, je pense que ce moment va longtemps trotter dans la tête de cette gentille surveillante, qu’elle va sûrement s’en vouloir.

Ce problème de santé, cette maladie face à laquelle les gens sont mal à l’aise, cette douleur qu’ils ne voient pas, ce syndrome d’Ehlers-Danlos, pourquoi serait-il une chose à cacher ? Pourquoi serait-il un tabou de plus à ajouter à nos épaules déjà chargées ?
Grâce à lui, j’ai commencé ce blog, j’ai reçu des dizaines de messages de personnes toutes différentes, j’ai été soutenue, j’ai pu aider, j’ai pu grandir, j’ai pu changer un tout petit peu le monde, à mon échelle. J’ai pu être heureuse, vraiment heureuse. Et je continuerai tout cela.

Alors pourquoi être gênée d’en parler ?

Publicité

On pourrait peut-être repartir à zéro

Ça y est, le trois est devenu un quatre, le temps s’est pris une année dans la figure. Comme ça, d’un coup.

Bim !

Je pense que vous êtes déjà au courant, vu le bruit que ça a fait : tout le monde allumait des pétards, des feux d’artifices, les enfants se couraient après armés de cotillons et les adultes se lançaient de petites boules de carton dessus à l’aide de sarbacanes. En tous cas chez moi – ils sont un peu foufous dans ma famille. A minuit tout le monde crie, et c’est reparti pour un tour.

C’est chouette, ce concept de nouvelle année, de nouveau départ. Comme si on pouvait repartir à zéro.

Pourtant, le dernier mardi de 2013 a précédé le premier mercredi de 2014 de façon tout à fait normale, le collègue qui nous énerve un peu sera toujours là à la rentrée, la nouvelle année n’aura pas effacé l’ex lourd qui tente une approche chaque mois, ni supprimé les papillons dans le ventre dès que l’on pense à un autre qui est trop loin. L’année 2014 ne fera pas disparaître la maladie.

Mais c’est presque une bonne idée de dire que l’on repart à zéro. Un peu comme dans un jeu, un peu comme si on pouvait toujours se rattraper. La vie n’est pas terminée à la première connerie, et de toute façon c’est toujours l’amour qui gagne comme dans les films américains. Ils m’énervent un peu les américains. Mais j’suis pas raciste des américains, j’ai une tante américaine.

T’as vu, je mets même un truc en langue américaine pour faire joli

Bref, je m’éloigne.

Tout ça pour vous souhaiter un peu maladroitement une très belle année. Repartez à zéro si vous pensez que cela est mieux, dans votre cœur, dans votre tête : tout le monde fait des changements en ce mois de janvier, c’est peut-être l’occasion de vous laisser entraîner et de réaliser un rêve, un projet ? Faites de votre vie quelque chose que vous trouvez beau, que vous jugez bien. Aimez-vous, aimez les autres, même le collègue du bureau qui vous énerve un peu.

Plein de bisous, et à très bientôt