Je ne suis pas ce que j’ai (ou, les gens trouvent les raccourcis moins compliqués)

Je suis interne et ne rentre qu’aux vacances, ce qui explique que le lycée ait tant d’importance.

Déjà que soi-même on n’arrive pas à se sortir de sa douleur, déjà qu’on a tant de mal à s’en déprendre, il faut en plus que les autres vous résument à ça, c’est comme d’être malade, les autres ne voient plus que ça de vous, un malade.

Serge Joncour, l’Amour sans le faire

Il y a plus de deux ans, j’ai commencé à avoir mal au dos. Très vite, pour ma classe, je suis devenue celle qui a mal au dos. C’est très long comme nom, ça ressemble un peu à celui d’un héros ou d’un méchant de livre, comme celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Au début j’ai pris ça comme une forme de reconnaissance, j’étais un peu différente, on se souvenait bien de moi alors que nous étions plus de 75 élèves de seconde fraîchement débarqués. Dès qu’on mentionnait un mal de dos, on savait à qui on avait à faire : Hermine, seconde 1. Mais cette douleur ne partait pas et certains commencèrent à douter de ma sincérité : on ne parlait plus de moi avec un petit sourire gentil et compréhensif, mais de plus en plus avec une moue sceptique et des doutes de plus en plus présents.

Ce fut en première que je me rendis compte de cela : les gens autour de moi doutaient et me firent même douter de moi. Je décidai d’ériger une barrière contre ces pensées en tournant mon mal de dos en dérision. J’étais toujours l’handicapée de mon année, mais lorsque j’en avais la force je l’étais avec le sourire et la capacité de dérision nécessaire à éloigner les paroles méchantes de mes oreilles. Puis, le diagnostic, en juillet. Je fis donc ma rentrée de Terminale en toute connaissance de cause : aucune des douleurs n’était fausse.

La première chose que l’on me demanda à la rentrée fut : « Et ton dos ? » Chaque personne que je revis après deux mois de vacances vint aux nouvelles : « Et ton dos ? »

Deux mois séparés, huit semaines passées ailleurs et la seule chose qui semblait les intéresser était l’état de mon dos. A une on demandait où elle était partie, à un autre si son voyage s’était bien passé, à une troisième si elle avait travaillé. Mais, à moi, il ne m’était posé qu’une seule question : « Et ton dos ?« 

Certes, cela pouvait sembler gentil alors je répondais avec quelques mots et un sourire : « Ça va bien, merci. » Mais, en y réfléchissant, qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que dans l’esprit de presque tous, je ne suis ni Hermine, ni une jeune fille de dix-sept ans, ni une passionnée de littérature, ni celle aux cheveux rouges, ni celle qui fait des sourires, ni la Parisienne -je suis la seule à habiter vers la capitale. Je suis celle qui a mal au dos.

Je suis réduite à cette caractéristique par les autres, comme si je n’étais plus que ce mal de dos – qui est en réalité bien plus.

Plus que cela, lorsque quelqu’un est différent, que cette différence concerne sa couleur de peau, son origine, son orientation sexuelle, son style vestimentaire… on a tendance à ériger cette différence en barrière, à le ranger bien à sa place, dans sa catégorie, à ne plus l’en sortir. Est-ce judicieux ? Non. Je ne pense pas que réduire quelqu’un à quelque chose d’aussi insignifiant qu’une particularité physique ou psychologique soit quelque chose de bon : tous les êtres humains sont étonnement complexes et ne méritent pas un tel classement ! Et, lorsque l’on réduit quelqu’un à une seule chose, on l’y enferme. Pour moi, celle qui a mal au dos, c’est comme si je devais faire tourner ma vie autour de cette -ces- douleur-s-. Non !

Mais je ne suis pas ma maladie ! Personne n’est ce qu’il a !