Ces profs qui ont (un peu) changé ma vie

On a tous connu des profs extraordinaires. Des profs qui dépassaient leur simple rôle de livre vivant, de personnage retombant dans l’anonymat une fois l’année scolaire écoulée. Des êtres humains qui nous ont appris à devenir.

Madame G., prof de Maths en sixième. Elle était petite et avançait en alignant de minuscules pas, les uns après les autres. On avait encore les ardoises à feutres, pour le calcul mental, et à chaque séance ça sentait bon les produits chimiques dans la petite salle du préfabriqué. Un jour, elle était restée m’aider à mettre en équation ma technique de calcul pour la table de neuf. Et ça m’avait fait me sentir si grande, sur le moment, qu’elle m’explique tout ça et qu’on calcule ensemble. Sur l’heure de la pause de midi, en plus.
(Ma technique, si tu veux calculer x*9, ça donne : (x-1)*10+(9-(x-1)). Ça a l’air beaucoup plus compliqué sur le papier que ça ne l’était dans ma tête)

Monsieur M., prof de Maths au collège. Il s’énervait tout rouge lorsqu’on avait de mauvais résultats, qu’on était pénibles ou qu’on ne faisait pas nos exercices ; il disait que lui serait tout de même payé, qu’on était jeunes et imbéciles. Mais il aimait beaucoup chacun de ses élèves, il prenait soin de nous. Avant, il était prof de pâtisserie. Mais un jour, il était passé aux Maths. Ils nous racontait souvent des voyages, ou des choses qui à première vue n’avait pas grand chose à voir avec les Maths. Ils nous parlait du reste, de ce qu’on apprend pas dans les bouquins.

Monsieur L., prof de sport durant tout le collège. C’est lui qui m’a encadré en section escalade, trois ans. C’est lui qui criait quand je réussissais une voie un peu difficile. C’est lui qui a repéré que je traversai une phase très difficile au collège. C’est lui qui m’en a parlé. C’est lui qui en a parlé à mes parents. Et c’est à lui que j’allais parler, lorsque le cœur devenait trop gros de colère ou de chagrin. Je suis retournée le voir en juin : trois ans que j’ai quitté le collège, mais c’est toujours la même chose, quand il m’aperçoit j’ai le droit à son grand sourire.

Monsieur B., prof de Sciences de l’Ingénieur au lycée. Dès le début il m’a intrigué. Il était un peu atypique, plein d’enfants, favorisant le bio et l’équitable -pas courant pour mon lycée. Souvent, il déviait du cours pour nous parler, faire quelques blagues. Pour lui, à partir du moment où on savait ce qu’on voulait, il fallait travailler pour -et pas se tuer à la tâche. Dans son cours, on était très autonome, il nous faisait confiance. C’est lui qui, au retour d’un salon d’orientation, m’a gardée deux heures pour parler de la vie et de l’avenir. C’est à lui que j’en ai le plus dit sur la maladie. C’est lui qui, dans un mail, m’a fait pleurer en m’écrivant : « Continue et change le monde… »

Madame C., prof de Lettres en seconde. Elle a tout de suite senti mon goût pour l’écriture, m’a encouragée à poursuivre. Avant d’envoyer mes textes pour des concours ou appels à textes, je lui faisais relire, elle me les rendait accompagnés de sa belle écriture au crayon de papier. C’est elle qui, en seconde, m’a renvoyée chez moi parce que je craquais, au niveau du corps et de l’esprit. Je ne l’ai eu qu’un an, mais en première et terminale, j’allais régulièrement l’attendre après les cours pour parler un peu. Elle utilise de beaux mots, a des yeux bleus presque transparents, qui te lisent en un regard.

Je suis encore en contact par mail avec quatre de ces professeurs, régulièrement un message part, dans un sens ou dans l’autre, pour prendre des nouvelles et envoyer un sourire. Un prof, c’est tellement plus qu’un simple enseignant.

Et vous, quels profs vous ont marqué ?

Quand je serai grande, je serai (ou, de l’importance d’être heureux)

Il y a une semaine, vendredi matin, tous les terminales se sont rendus à un salon consacré à l’orientation.

Après trois jours passés allongée, trois jours à ne presque rien manger et à dormir tout le temps, je me suis levée. Il pleuvait lorsque nous sommes partis du lycée, de grosses gouttes de pluie venaient s’écraser sur nous, mes articulations criaient un peu à cause de toute cette eau. J’avais mis mon gros pull vert, j’ai passé la matinée à sauter de stand en stand, récupérant des prospectus, des informations et des sourires.

« On dirait un peu moi quand je fais des recherches pour l’année prochaine. » Hermine

L’enjeu était de taille : il s’agissait de trouver ce que j’allais faire de mon année après le bac, de celle qui arrive très vite ; trouver quelque chose qui soit dans mes compétences et qui m’intéresse.

Cette année, je suis en Terminale S. Cela surprends toujours quand je le dis : j’écris, j’aime la Philosophie, les humains, les enjeux de société, le savoir, les livres. Je suis en S.

Quand j’étais en maternelle, je voulais faire vétérinaire, être avec des animaux toute la journée et leur faire des bisous.
Quand j’étais en primaire je voulais toujours faire vétérinaire. J’ai aussi eu ma période pompier, pour sauver des gens et jouer avec le feu ; maîtresse pour écrire sur un joli tableau et apprendre aux enfants à lire ; violoniste pour faire de ma passion un métier.
Quand j’étais au collège je voulais faire pilote de chasse. Sûrement à cause des bruits de réacteurs de Mirages et Rafales qui ont bercé mon enfance, dans la maison de la campagne.
Quand j’étais en Seconde, je voulais faire pilote de chasse. J’ai commencé à avoir un peu mal au dos, mais ça n’était rien.
Quand j’étais en fin de Seconde, je voulais faire pilote de ligne. La chasse, avec mon mal de dos, ça n’aurait pas trop fonctionné.
Quand j’étais en Première, je voulais faire ingénieur d’avions. Le pilotage, avec mon mal de dos, ça n’aurait pas trop fonctionné.
Je suis en Terminale. Je ne veux plus faire de métier scientifique. Le scientifique, ça ne m’aurait pas trop passionné.

J’aime les gens, les humains, les petits, les grands, les minces, les gros, les noirs, les jaunes, les blancs, les blancs cassés, les cafés, les verts, les avec des rayures, les colériques, les calmes, les fous, les presque-fous, les raisonnables, les aventuriers, les tristes, les énergiques, les heureux, les sportifs, les parents, les musiciens, les artistes, les sensibles, les cinéphiles, les égocentriques, les peureux, les rien-du-tout. J’aime les hommes.

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« La terre est ma patrie, le genre humain ma nation. » Tevfik Fikret

Plus de pilotage, donc. Ma santé ne me permet pas de faire une prépa : même si les profs ne doutent pas de ma capacité intellectuelle à entrer en B/L ou Khâgne, mon corps n’y survivrait pas. J’aurais bien voulu faire artiste, faire de la recherche, vivre parmi les mots. Mais j’ai l’intime conviction que, même si ce n’est qu’un tout petit peu, je peux aider à faire changer les choses.

L’année prochaine, je me verrais bien à Sciences Po. Pas Paris, c’est trop grand, trop élitiste, mais un autre Sciences Po ; je passerai donc le concours commun en mai, il faut toujours que j’aille voir le médecin scolaire pour demander un tiers-temps.
Si je ne l’ai pas, direction l’université, en Philo ou en Sciences Politiques. Ou en bi-licences, voir en Philosophie Politique, en Philosophie Anthropologie, en Socio-Politique…

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« Un français sur trois n’est pas satisfait de sa situation
professionnelle en général. » Baromètre IPSOS

En revenant du salon, la semaine dernière, je n’étais pas très bien.
J’allais passer le concours des IEP, cela c’était certain, mais si je ne l’avais pas ? Deux choix, alors : partir faire du droit, ou trouver une licence qui me plaise et qui parle de l’homme. Pour moi, la première option était plus sûre, je me sais capable d’ingurgiter du par cœur et de mener une argumentation : au bout j’aurais du travail. Mais la deuxième ? Certes, ces études me passionneraient ? Mais niveau emploi ? Et revenus ?

Je ne veux pas d’argent pour l’argent, si ma maladie n’était pas là, je n’aurais pas hésité une seule seconde. Mais j’ai peur de l’avenir.

Le gouvernement économise : et si je n’obtenais pas mon renouvellement d’ALD dans quatre ans ?
Et si j’étais moins remboursée ?
Et si je ne gagnais pas assez pour payer les soins, aides et matériels non remboursés ?
Et si ma situation se dégradait encore ?

Je vous ai parlé, la dernière fois, de ce prof extraordinaire. Et bien l’après midi, j’avais cours avec lui ; je lui ai demandé si on pouvait parler un peu, il est resté jusqu’à six heures et demie.

J’ai commencé un peu hésitante, le salon, mon avenir, les études… et plus les mots sortaient de ma bouche, plus les larmes me montaient aux yeux. Je lui ai parlé de mes peurs, de mes angoisses, de la maladie qui se réveillait un peu plus chaque jour.

Nous avons parlé, plus d’une heure. Il m’a écouté, il m’a rassuré, il m’a fait voir que le bonheur était plus important que tout. Il m’a dit qu’il fallait que je m’écoute, que je fasse ce qui me rendait fière, ce qui me donnait le sourire. Que toute ma vie, je puisse me regarder dans une glace. Il a pleuré.

Et nous étions là, deux humains dans une grande salle, à parler de la vie, du bonheur, à verser des larmes silencieuses, parce que, tout de même, la vie est belle.

« Plus tard, tu feras de la haute couture »

Lundi matin, rentrée des classes, deux heures de cours avec le même prof.

Je l’aime bien, ce prof : il a toujours le sourire, sort les mêmes blagues nulles que mon papa et fait ses courses au Biocoop à côté du cabinet de ma kiné. Il est gentil, pas débile ou tarte, pas au sens « qui sourit tout le temps surtout devant des bébés animaux » ; non, il est bon, sincère, vraiment extraordinaire. Son but, c’est d’être heureux avec sa famille – qu’il agrandit sans cesse, pas de monter de plus en plus haut dans une quelconque hiérarchie, pas d’avoir de plus en plus de pouvoir ou d’argent. Depuis qu’il a su ce qu’il voulait dans sa vie, il a fait pile-poil ce qu’il fallait pour : pas plus, pas moins. Nul besoin d’être le premier partout pour être heureux.
Maintenant, peut-être que vous le connaissez un peu mieux.

Ce prof, il a été un soutien l’année dernière, et cette année aussi : il a toujours un œil sur moi en cours, dès que je grimace un peu à cause de la douleur, ou qu’il voit que ça ne va pas, il s’approche et parle très doucement : « Pas terrible aujourd’hui ? » « Tu veux monter t’allonger ? » « Tu es sûre ? » Il ne parle pas doucement parce que j’ai une ouïe sur-développée ou qu’il a toujours mal à la gorge, il fait ça pour que les autres ne soient pas impliqués dans l’échange : il s’arrange toujours pour venir alors que mes petits camarades sont plongés dans un exercice ou en train de travailler sur les ordinateurs de la salle. Et c’est quelque chose dont je lui suis très reconnaissante, garder ma vie privée privée. Privée privée. C’est étrange. Bon, faire que ma vie privée reste privée.

Donc, lundi matin, il s’est approché de moi alors que je quittais la classe, les garçons étant déjà partis (les garçons, parce que ce cours est en demi-groupe et nous ne sommes que deux filles à y participer). Il m’a demandé comment les vacances s’étaient passées, si ça allait mieux. Le truc, c’est que depuis quelques jours j’enchaînais les sub-luxations et j’avais de plus en plus de mal à marcher / écrire / vivre de manière normale -comme tout le monde, quoi.
Alors, en mimant une poupée toute désarticulée, il m’a dit : « Au moins, tu sais que plus tard tu feras de la haute couture : tu te feras des habits spéciaux ! » Et ça m’a fait rire.

Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas rire de la maladie, on rit de tout. Rire de ce qui nous atteint, de ce qui nous fait mal, c’est l’accepter comme partie intégrante de ce que l’on est et ne pas en avoir honte. Rire, c’est partager et redevenir quelqu’un  de normal, une élève parmi les autres et pas quelqu’un dont on ne se moque jamais parce que tu comprends, il ne faudrait pas qu’elle le prenne mal à cause de sa maladie.