Rester là quand les autres vont se promener

Aujourd’hui, il fait beau. Après plusieurs jours pluvieux, douloureux dans mes articulations et passés près du poêle à râler contre chaque membre de ma famille dès qu’il ou elle respirait un peu trop fort, je pensais pouvoir enfin sortir et profiter de ces derniers jours dans ma jolie campagne.

Surtout qu’aujourd’hui, tout le monde s’est réveillé tôt pour aller à la brocante de la petite ville d’à côté, celle où chaque année on trouve des trésors et des chaussures en promotion. A neuf heures, la porte de ma chambre s’est ouverte et j’ai entendu « Allez Chiffon, va la réveiller ! » Tu vois, le matin je fais tellement peur que ma famille envoie le petit chien de ma mamie pour me tirer du lit.

Mais ce matin, ça a été difficile. Encore plus que les autres matins, alors que je te promets que tous mes matins sont difficiles.
Hier, dans la nuit, j’avais tellement mal que j’ai dû me relever pour prendre tous mes médicaments et appliquer un patch de lidocaïne sur mes côtes droites. Celles-ci avaient décidé que deux heures du matin était une heure raisonnable pour être parcourues d’éclairs de douleur, si forts qu’ils me pliaient en deux à chaque décharge. Autant te dire que c’était pas super cool et que ma nuit a été agitée, en plus d’être bien trop courte.

En ouvrant les yeux alors qu’une boule de poils me sautait dessus, j’ai su presque instantanément que la promenade à la brocante se ferait sans moi.
Mais je me suis tout de même levée, je suis arrivée dans la cuisine et me suis assise à la table, en face de mon bol vide. Autour de moi tout le monde mangeait, discutait, vivait.

Face à quelqu’un de malade, tu as deux réactions possibles : essayer de positiver, de lui dire qu’on va y arriver, que ça va aller mieux, qu’elle aille s’habiller et qu’on verra après, ou alors ne rien dire, continuer ta vie à toi en sachant très bien que tu ne peux rien faire pour que cette personne aille mieux, même si ça te tord le cœur.
Et en tant que personne malade et pas au sommet de sa forme aujourd’hui, aucune de ces options ne m’aide.
Quand j’entends quelqu’un me dire qu’on verra quand je serai habillée, que je vais aller mieux, que ça va le faire, j’ai l’impression que mon état et que ma douleur sont niés, qu’on est en train de m’expliquer qu’avec un peu d’efforts je serai en parfaite santé.
Et quand on ne me dit rien, je me sens abandonnée, j’ai l’impression que personne ne se soucie de moi et que je peux bien mourir dans mon coin, tout le monde s’en fiche.

Et je m’en veux encore plus, car en ressentant tout ça je réalise également que ce ne sont que les deux réactions possibles pour des personnes qui tiennent à moi, et que jamais ils n’ont mis ma parole en doute. Quand je ne suis pas bien, je m’étouffe dans mes contradictions, je me monte des histoires pas possibles dans ma tête et ça n’aide pas du tout.

Tu vois, toi qui m’envoie des messages pour me dire que tu admires ma façon de vivre la maladie, d’être heureuse tout le temps et de si bien réussir… en fait, c’est pas tout le temps tout à fait ça.

Certains jours, c’est vraiment compliqué, et je sens les larmes qui montent et ma gorge qui se serre quand je sais que je me fabrique tous ces problèmes toute seule comme une grande, et que tout le monde était très bien lorsque je dormais, loin dans la chambre.

 

Alors, ils sont partis à la brocante, et je suis restée à la porte, agitant la main vers la voiture qui s’éloignait.

Ils viennent de téléphoner pour dire qu’ils revenaient avec des pizzas, et qu’il n’y avait pas grand-chose. 
Ça aurait pu être pire.

Le 28 février, ou la journée internationale des maladies rares

Le 28 février, c’est la Journée Internationale des Maladies Rares. Coincée entre la Journée Mondiale d’action contre l’ordonnance sur les brevets en Inde le 26 février, et la Journée Mondiale du compliment le 29 février, les maladies rares ont leurs 24 heures de gloire comme pas mal d’autres causes. Mais, après tout, ce ne sont que 24 heures : est-ce qu’on peut changer le monde en aussi peu de temps ? Et est-ce que ça sert vraiment ?

Certes, consacrer une journée comme ça, aux maladies rares, c’est un peu étrange : comme si on devait se préoccuper de cela une seule fois dans l’année. C’est un peu comme penser que la journée de la gentillesse t’autoriserait à être infect le reste du temps : tu as donné durant quelques heures, alors une fois que cet événement est terminé, tu peux reprendre ta vie de débauche et de calomnies. Bon, j’exagère peut-être un petit peu.
Mais là, pour les maladies rares, est-ce que ça ne mettrait pas tous ces gens (3 millions de personnes concernées en France) à part ? On s’occupe d’eux un jour sur 365, alors qu’ils ne viennent pas se plaindre qu’on les abandonne comme des vieilles chaussettes le reste de l’année ? Est-ce que ce serait un prétexte de la part des gens « normaux » pour avoir bonne conscience ?

Dans un monde idéal, il n’y aurait pas besoin de cette journée internationale, car la recherche avancerait, les gens seraient au courant, tout le monde serait tolérant et compréhensif, la maladie ne serait pas un sujet tabou et il y aurait du soleil tous les jours. Mais bon, comme tu as dû le comprendre, on est pas tellement dans ce schéma là.

Alors déjà, qu’est-ce que c’est qu’une maladie rare ?

Une maladie rare, c’est une maladie qui touche moins d’une personne sur 2000. Souvent, il n’y a pas de traitement, on parle alors de maladie orpheline. Les patients se retrouvent parfois promenés de consultation en consultation des années avant d’avoir un diagnostic : peu de gens sont concernés, alors rares sont les médecins qui connaissent ces maladies.

Mais peut-être que, même de nom, tu en connais : la mucoviscidose, les myopathies, la maladie de Verneuil, le syndrome de Marfan, le syndrome d’Ehlers Danlos, la citrullinémie, la maladie de Crohn, la dermatomyosite, les rétinites pigmentaires…
(Si toi aussi tu es l’heureux propriétaire d’une maladie rare, dis-moi en commentaire et je l’ajouterai à la liste ! Et si tu tiens un blog ou tu fais des vidéos là-dessus, je placerai discrètement le lien à la suite)

En attendant que le monde soit tout rose et que la paix dans le monde existe, je pense vraiment qu’une journée comme celle-ci peut être un support à ne pas négliger, un moyen de faire un peu parler de nous de manière positive. Tous ensemble, on peut mettre en valeur nos atouts, montrer qu’on est aussi des gens chouettes, sensibiliser à la différence. Et aussi, permettre aux maladies rares d’être davantage connues et reconnues, aider des personnes à obtenir un diagnostic et des soins, rencontrer des gens qui se pensaient les seuls à vivre cette vie un peu différente.

Alors, exceptionnellement et à l’occasion de cette journée un peu spéciale, vous pourrez retrouver sur ma chaîne une vidéo faite en collaboration avec deux personnes bien chouettes, qui parlera un peu de toutes ces choses que l’on peut vivre, en tant que petit humain atteint d’une maladie rare, ou personne extérieure face à des gens différents.
J’espère vous retrouver nombreux sur Youtube, le samedi 28 février 2015, à 9 heures.

 (Et en 2019, c’est même l’année européenne des maladies rares !)

L’avenir de plus tard, même plus trop peur

Ça va, il est légèrement demain matin alors que je commence ce billet : j’ai le droit d’écrire des titres bizarres.

Si vous me suivez sur Twitter, vous avez peut-être déjà vu cela passer : il y a quelque jours, mon nom a été affiché sur une liste bien particulière, me donnant accès à un oral qui pourrait me permettre d’accéder à un double cursus parisien prestigieux. On va dire ça comme ça, restons discrets tout de même, j’ai un anonymat -relatif- à conserver. 2000 dossiers ont été envoyés, 300 déclarés admissibles, moins de la moitié seront pris. L’oral est dans trois semaines.

Si vous m’aviez-vu le soir de la publication des résultats… durant les quatre heures qui me séparaient de l’extinction des feux, j’ai crié, sauté, couru partout dans l’internat, des petites étoiles dans les yeux. Ce n’était pas tant le fait que cela me rapproche de la formation que je voudrais par dessus tout, mais plutôt le fait que, malgré mes notes de terminale au ras des pâquerettes à cause de la maladie, ils aient voulu me rencontrer. Ma lettre de motivation leur a donné envie d’en savoir plus sur moi, Hermine, presque 18 ans et des rêves plein la tête ! Ils m’ont sélectionnée pour l’oral, avec mon 11 et quelques de moyenne générale au deuxième de trimestre de terminale, parce que j’ai des choses à dire, à revendiquer, parce qu’ils m’ont trouvé -peut-être- intéressante !

Et, hier soir, j’ai pu parler avec une première année qui fait partie d’un de ces bi-cursus. Elle a été adorable, alors que, je l’avoue, je m’attendais un peu à être prise de haut, comme si tous les gens de ces bicus étaient obligés d’être hautains et de se sentir supérieurs, faisant partie de « l’élite » et pas nous, pas moi. Je déteste ce mot, « élite ». C’est un mot de prétentieux, un mot qui construit des murs entre les gens, qui fait mal et qui ne sert à rien. Qui classe tout le monde en fonction de critère à la con. Enfin, elle a pu me rassurer, me dire qu’elle aussi avait un profil un peu atypique, et sans avoir de ces bulletins qui frisaient les 18 de moyenne elle avait pu passer l’oral, décrocher la filière. Elle m’a aussi dit de ne pas m’inquiéter, qu’ils seraient très compréhensifs face à mes « problèmes de santé ». J’espère vraiment qu’ils n’y accorderont pas plus d’importance que ça, je n’ai vraiment pas envie d’y passer plus de trente secondes et de perdre le moral en devant leur en parler.

Oui, je suis malade, et si certains adultes me parlent de l’année prochaine avec un ton protecteur, en me disant presque qu’il faudrait me mettre dans du coton et m’enfermer dans une bulle, ils n’ont pas raison. Loin de là. La maladie, je ferai avec, mais je ne la prendrai pas en compte en postulant pour ce qui concerne mes études, mon avenir ! En quoi je serai moins apte que d’autres à faire des choses qui me plaisent, si difficile soit-il d’y rentrer ?

Malade ou pas, ne perdez pas espoir, jamais, on est toujours récompensé à la fin. Croyez-moi, c’est une jeune fille qui avait perdu confiance en elle qui vous le dit.

Je ne suis pas ce que j’ai (ou, les gens trouvent les raccourcis moins compliqués)

Je suis interne et ne rentre qu’aux vacances, ce qui explique que le lycée ait tant d’importance.

Déjà que soi-même on n’arrive pas à se sortir de sa douleur, déjà qu’on a tant de mal à s’en déprendre, il faut en plus que les autres vous résument à ça, c’est comme d’être malade, les autres ne voient plus que ça de vous, un malade.

Serge Joncour, l’Amour sans le faire

Il y a plus de deux ans, j’ai commencé à avoir mal au dos. Très vite, pour ma classe, je suis devenue celle qui a mal au dos. C’est très long comme nom, ça ressemble un peu à celui d’un héros ou d’un méchant de livre, comme celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Au début j’ai pris ça comme une forme de reconnaissance, j’étais un peu différente, on se souvenait bien de moi alors que nous étions plus de 75 élèves de seconde fraîchement débarqués. Dès qu’on mentionnait un mal de dos, on savait à qui on avait à faire : Hermine, seconde 1. Mais cette douleur ne partait pas et certains commencèrent à douter de ma sincérité : on ne parlait plus de moi avec un petit sourire gentil et compréhensif, mais de plus en plus avec une moue sceptique et des doutes de plus en plus présents.

Ce fut en première que je me rendis compte de cela : les gens autour de moi doutaient et me firent même douter de moi. Je décidai d’ériger une barrière contre ces pensées en tournant mon mal de dos en dérision. J’étais toujours l’handicapée de mon année, mais lorsque j’en avais la force je l’étais avec le sourire et la capacité de dérision nécessaire à éloigner les paroles méchantes de mes oreilles. Puis, le diagnostic, en juillet. Je fis donc ma rentrée de Terminale en toute connaissance de cause : aucune des douleurs n’était fausse.

La première chose que l’on me demanda à la rentrée fut : « Et ton dos ? » Chaque personne que je revis après deux mois de vacances vint aux nouvelles : « Et ton dos ? »

Deux mois séparés, huit semaines passées ailleurs et la seule chose qui semblait les intéresser était l’état de mon dos. A une on demandait où elle était partie, à un autre si son voyage s’était bien passé, à une troisième si elle avait travaillé. Mais, à moi, il ne m’était posé qu’une seule question : « Et ton dos ?« 

Certes, cela pouvait sembler gentil alors je répondais avec quelques mots et un sourire : « Ça va bien, merci. » Mais, en y réfléchissant, qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que dans l’esprit de presque tous, je ne suis ni Hermine, ni une jeune fille de dix-sept ans, ni une passionnée de littérature, ni celle aux cheveux rouges, ni celle qui fait des sourires, ni la Parisienne -je suis la seule à habiter vers la capitale. Je suis celle qui a mal au dos.

Je suis réduite à cette caractéristique par les autres, comme si je n’étais plus que ce mal de dos – qui est en réalité bien plus.

Plus que cela, lorsque quelqu’un est différent, que cette différence concerne sa couleur de peau, son origine, son orientation sexuelle, son style vestimentaire… on a tendance à ériger cette différence en barrière, à le ranger bien à sa place, dans sa catégorie, à ne plus l’en sortir. Est-ce judicieux ? Non. Je ne pense pas que réduire quelqu’un à quelque chose d’aussi insignifiant qu’une particularité physique ou psychologique soit quelque chose de bon : tous les êtres humains sont étonnement complexes et ne méritent pas un tel classement ! Et, lorsque l’on réduit quelqu’un à une seule chose, on l’y enferme. Pour moi, celle qui a mal au dos, c’est comme si je devais faire tourner ma vie autour de cette -ces- douleur-s-. Non !

Mais je ne suis pas ma maladie ! Personne n’est ce qu’il a !