Ce meurtre d’enfant handicapé qu’on excuse #BoycottAnneRatier

Si tu es plus à l’aise avec l’oral, j’ai fait une vidéo qui reprend ce texte juste ici.

Le média en ligne Konbini a publié une interview d’Anne Ratier, menée par le journaliste Hugo Clément. Interview dans laquelle elle raconte comment et pourquoi elle a tué Frédéric, son fils handicapé, juste avant ses trois ans. Tout ceci sans aucune remise en question de la part du journaliste, sans aucun recul, sans aucune voix qui s’élève pour faire entendre l’indécence de ces propos.

La vidéo interview est très dure et je la cite beaucoup. Si tu es sensible lorsqu’on parle de ces sujets-là, d’autant plus si tu es toi-même handicapé•e et que tu as déjà dû faire face à ces violences, il vaut mieux t’en éloigner. Par contre, si tu es une personne valide, je t’encourage à lire jusqu’au bout.

Un des premiers termes utilisés dans cette vidéo, c’est “offrir la mort”. Offrir. Comme on offrirait un jouet lors d’un anniversaire, un cadeau. Là on parle de tuer une personne. De tuer son enfant. Un assassinat n’est pas un cadeau pour la personne qui meurt sans l’avoir voulu ou décidé, et je n’en reviens pas de devoir préciser quelque chose d’aussi évident.
Dans la vidéo, un terme aussi beaucoup utilisé est “mettre fin à la vie”. Uniquement des euphémismes pour parler d’assassinat, de meurtre prémédité. Tout est fait pour atténuer la gravité de l’acte parce qu’il s’agit d’un enfant handicapé. D’ailleurs il n’est pas uniquement qualifié d’handicapé, mais de “lourdement handicapé”. Comme s’il y avait un stade du handicap à partir duquel le droit de vivre disparaissait. Comme s’il y avait un moment où, le handicap étant trop lourd, il valait mieux mourir sans même avoir le droit de le décider pour soi. Comme si le fait qu’une personne soit lourdement handicapée autorisait le meurtre.

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Et si tu pouvais guérir ?

Et bien je ne sais pas si j’en serais heureuse. Vraiment.

Il y a une autre question, que parfois je me suis posée : et si je pouvais recommencer sans être malade ? Pour celle-ci, la réponse est simple : non, double non.
Parce que ne pas être malade, ou ne pas avoir été malade, cela aurait voulu dire : pas de blog, pas de vidéos, pas de twitter, pas d’échanges sur internet, pas de rencontre avec de très belles personnes, pas tous ces mails de remerciements qui arrivent et me donnent tant d’amour… Mais même sans parler de toutes ces aventures de l’internet, je pense que j’aurais grandi en étant quelqu’un de beaucoup plus égoïste et auto-centrée, sans même me rendre compte que tout le monde ne vivait pas comme moi. Je n’aurais sûrement pas fait d’anthropologie, lu des livres qui parlaient d’humain(s) et lu autant d’articles de sciences humaines. Et je ne suis pas certaine que ma relation avec le féminisme aurait été la même. Bien sûr, je ne pourrais jamais vraiment savoir ce que ma vie aurait donné, sans maladie, mais l’idée que j’ai de cette existence parallèle ne me donne pas vraiment envie.
Et peut-être que j’aurais été très heureuse, en prépa ou dans mon avion de chasse, très heureuse d’un bonheur sûrement différent.

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Mon mot à dire

Longtemps je me suis couchée de bonne heure. Non, ça c’est pas tellement vrai, ce serait plus approprié de dire que je ne me suis jamais trop couchée de bonne heure. Reprenons.
Longtemps, j’ai cru que je n’avais pas mon mot à dire lorsqu’il s’agissait de décider de ce qu’il allait être fait de mon corps.

J’ai même très longtemps cru que c’était normal que le médecin griffonne tout seul sur son papier et me le tende à la fin de la conversation, en me précisant bien combien de gouttes je devais mettre dans mon verre d’eau et combien de cachets je devais avaler à chaque repas mais sans vraiment en discuter avec moi. C’était un peu comme le loto, je mettais ma pièce -en l’occurrence ma carte vitale-, j’attendais un peu et on m’annonçait ce que j’avais gagné. Et c’était rarement un million d’euros.

Alors, comme je pensais ne pas tellement avoir mon mot à dire, parce que je n’étais que la patiente et que je n’avais pas toutes ces connaissances importantes que tu apprends en faisant des études compliquées, je me taisais.
Je n’ai pas cherché plus loin lorsqu’un docteur m’expliquait que c’était de la fatigue, ou du stress, même si au fond de moi je sentais bien que ça n’était pas si normal que ça d’avoir mal en permanence et de ne plus tenir assise. Je n’ai rien dit quand je devais me déshabiller avec un membre de ma famille encore dans la pièce, parce qu’il fallait bien m’examiner et que je ne voulais pas être une patiente pénible. Je ne me suis pas manifestée lorsque le soignant parlait de moi à la troisième personne avec mes parents, alors même que j’étais assise entre eux deux.

Un jour, je suis arrivée dans un nouveau bureau. Encore un nouveau bureau. Encore un nouvel hôpital, encore une nouvelle salle d’attente, encore de nouveaux visages. Encore un nouveau médecin. Et ce médecin là, plutôt que de chiffonner l’ordonnance du précédent et marquer son territoire en me prescrivant un tas de nouveaux trucs de pleins de couleurs qui allaient sûrement me rendre un peu nauséeuse, un peu endormie et un peu moins douloureuse, il m’a posé des questions.
Et, un par un, on a repris ensemble tous les soins et les médicaments en cours. A chaque nouveau nom, il me regardait et attendait que je parle, que je lui en parle et que je lui explique quels effets cela me faisait. Au début, ça a été un peu compliqué, je n’étais pas habituée à participer autant à une consultation, et je ne savais pas trop que lui dire.

« Ehmm, ça c’est un antidouleur… »
Effectivement, c’est même écrit sur la boite.
« Ça aide pour quand j’ai mal… »
Mais encore ?
« Mmmh, j’en prends parfois deux et parfois un et parfois pas… »
Que d’informations !
« Ça me fait un peu tourner la tête et je comprends moins de choses… »
Voilà, on avance.
« Mais c’est une des seules choses qui fonctionne sur mes migraines des muscles… »
On dit céphalées de tension.
« Haaan, mais j’apprends même des mots, c’est fou cette consultation ! »

C’était presque aussi comique.

Grâce à cette consultation, j’ai compris que j’avais mon mot à dire.
Ce qui m’a le plus marquée a été le visage de mon médecin lorsque je lui ai dit que les gouttes du soir ne me faisaient aucun effet autre que de me rendre malade, et que je les prenais depuis bientôt un an. Et, plutôt de me dire ce qui se lisait très clairement sur son visage (« QUOI ?! Mais vous n’avez jamais dit stop ?! ») il a tout simplement dit, en rayant le médicament : « Hop, alors si ça ne vous fait aucun bien, on enlève ! »

Plus que d’apprendre à dire non, c’est grâce à ce médecin que j’ai enfin compris que je pouvais également faire des propositions sans avoir l’air de vouloir prendre sa place, et que ces rendez-vous bi-annuels étaient des espaces d’échanges et d’essais, plutôt que des jugements auxquels je plaidais toujours coupable.

 

Ce billet a été écrit pour le thème de janvier du #mededfr.
Va voir ce qu’ils font par là-bas, c’est vraiment bien.

Le truc dans mes dents qui me rend humaine

Là actuellement tout de suite, je devrais être en train d’éditer la vidéo de mercredi pour que ma super équipe l’ait à temps afin d’en faire les sous-titres. D’ailleurs si tu sais écrire sans trop de fautes, tu peux m’écrire à hermine.sed@gmail.com pour en faire partie et m’aider à rendre la chaîne accessible, tu seras trop chouette. Donc, je disais qu’au lieu d’écrire cet article je devrais être en train de bosser sur une vidéo. Normalement, c’est à ce moment que tu dois t’exclamer : « Mais alors Margot, qu’est-ce que tu fabriques ? » (oui, j’ai changé de prénom, si tu veux j’ai fait une vidéo pour l’expliquer juste ici)
Et bien je fabrique que, une fois la vidéo importée sur mon PC, je me suis rendue compte que j’avais un truc dans les dents.

Bon, ça n’est pas non plus un bout de salade bien sombre qui attire tout de suite le regard sur ma dentition de rêve, non, c’est une sorte de truc blanc un peu mou non identifié, je te laisse le soin d’imaginer ce que ça peut être. Ou non, je ne te laisse pas le soin, on va rester dans le doute, cette fois là ça me semble plus sage.
Donc, j’ai un truc dans les dents. Et, quand j’ai parcouru la vidéo fraîchement tournée pour voir si la qualité était correcte, je n’arrivais pas à détacher mes yeux de ce truc. C’était comme si, en plein écran, il n’y avait que mes dents avec cette chose inconnue, ce bout de je ne sais quoi qui n’aurait jamais dû se trouver là.

D’un coup, je me suis retrouvée face à un dilemme de taille : laisser cette chose au risque de détester cette vidéo, ou tout filmer à nouveau avec un temps très limité.
Filmer à nouveau, ça me paraissait tendu : pour une vidéo de dix minutes, je passe plus d’une heure à tout installer et à parler. Or, il était dix-neuf heures trente et je n’avais pas encore mangé : je me voyais mal parler toute seule tard dans la soirée, alors que ma famille essaierait de dormir.
Alors, je me suis tout simplement demandée pourquoi je détesterais cette vidéo. Est-ce que j’étais obligée de ne pas l’aimer, alors qu’elle allait sûrement être utile à des tas de gens ? Est-ce que tout le travail derrière devait devenir insignifiant à cause d’un simple truc qui n’était pas allé comme prévu ?

Les vidéos Youtube demandent tout un travail de mise en scène. Oui, à travers une vidéo tu as l’impression de voir la personne complètement nue et de la connaître vraiment, mais ça n’est pas tout à fait ça. Avant de filmer, je vais devoir choisir un décor, donc dans quel endroit je me place et ce que je vais montrer derrière. Ensuite, je vais ajouter un éclairage, pour faire ressortir mon visage et avoir une meilleure qualité vidéo. Je vais faire certains réglages pour obtenir un fond flou, placer quelques lumières pour que ce soit joli et vérifier ma tenue.
Sauf que ce soir je n’ai pas vérifié ma tenue. Je venais de rentrer après quelques courses et j’étais en forme, alors j’ai décidé de tout installer pour filmer. Je n’ai pas voulu me maquiller, alors pas de passage par la salle de bain, pas de vérification dans le miroir, pas d’enlevage du truc entre les dents.

Après y avoir réfléchi, j’ai décidé de garder tout ça en l’état et de ne pas tourner à nouveau.
Pourquoi est-ce que j’essaierais de cacher que je suis une personne tout à fait comme une autre, avec parfois des trucs dans les dents ? Est-ce que ça me gène vraiment qu’on se rende compte que je suis une humaine ? Est-ce que quelqu’un s’en rendra vraiment compte ? (bon, à part toi, parce que maintenant tu es au courant)

Je me mets déjà beaucoup de pression par rapport à ces vidéos, j’essaie de les rendre les plus jolies possible à regarder, les plus professionnelles, les plus parfaites.
Parfois, je rate ma mise au point. Parfois, la balance des blancs n’est pas super. Parfois, j’ai un truc dans les dents.

Alors je pense que cette décision est peut-être un début d’indulgence envers moi-même. Je n’ai pas fait cette chaîne pour être professionnelle ou parfaite. Je l’ai créée, tout comme le blog, pour partager des idées, pour faire sourire les gens, pour en aider certains, pour me réconcilier avec ma maladie, pour me faire plaisir.
Et pour faire tout ça, pas besoin d’un sourire de pub de dentifrice.