La douche

La douche est le meilleur endroit pour pleurer : l’eau des larmes se mêle à celle qui tombe du pommeau, les sanglots sont masqués par le bruit. C’est si facile de pleurer, sous la douche.

Mon corps malmené par la maladie, mon corps couvert de griffures et de bleus, mon corps parsemé de cicatrices blanches, mon corps peu à peu délaissé, mon corps silencieusement abandonné, mon corps pris d’assaut par la douleur, mon corps emmené loin de moi par ces poignards invisibles, mon corps qu’une caresse fait hurler, mon corps qu’un baiser fait souffrir, mon corps qu’un souffle fait faillir, mon corps que je ne reconnais plus.

Sous l’eau de ma douche, hier soir, je l’ai parcouru.

Les yeux fermés j’ai laissé l’eau découvrir ma nuque cachée sous mes cheveux libres, glisser le long de mon dos, de mes hanches, finir à mes pieds et s’enfuir loin ; ma main appuyée au mur me raccrochait à ce monde, sans elle je serais tombée, partie dans d’autres contrées. Avec précaution j’ai saisi mon savon et l’ai passé sur ma peau. L’épaule redécouvrait la douceur d’une caresse, puis le bras, le coude qui ne voulait pas rester en place, le poignet qui m’empêchait d’écrire, les doigts qui voulaient se faire entendre en criant de douleur. J’ai redécouvert mon corps au fil du passage de ce savon rose, uniquement tenu par ma main qui tremblait un peu. A peine le premier bras terminé, mes genoux ont décidé que trop c’était trop et je me suis presque effondrée sur le carrelage froid : il était plus prudent de continuer assise. Mon cou tendu par la fatigue, les muscles de mes épaules qui n’ont jamais connu le repos, ma poitrine sensible et douloureuse elle aussi, mon ventre silencieux. Mon dos perdu, mon dos qui se tait d’avoir trop hurlé alors que le savon dépose sa mousse d’un rose léger. Mes hanches qui ne tiennent plus en place et craquent comme le bois torturé par le feu, mes cuisses que le frôlement d’un drap insupporte, mes mollets ornés de bleus gigantesques, mes talons marqués de cicatrices d’ampoules, la plante de mes pieds trop sensible pour que je m’y attarde.

Les sanglots n’ont pas prévenu, ils me sont tombé dessus sans crier gare. Le savon a quitté ma main et est venu rebondir sur le carrelage blanc. Prostrée, au sol, j’ai dû pleurer quelques minutes, quelques heures. L’eau me frappait toujours.

En sortant, je me suis dit que la vie était tout de même jolie, que la douleur partirait comme elle en a l’habitude, que bientôt tout irait mieux. Que tout allait bien.

Je ne me suis pas dit qu’aujourd’hui avait été une des pires journées de ma vie. Je ne me suis pas dit que c’était la première fois que mes genoux étaient si fragiles. Je ne me suis pas dit qu’il faudrait peut-être que je réfléchisse à l’usage d’un fauteuil roulant. Je ne me suis pas dit que je suivais à peine les cours. Je ne me suis pas dit que moins de trois mois me séparaient du bac. Je ne me suis pas dit que j’avais peur.

10 commentaires sur “La douche

  1. Je viens de découvrir ce blog, et je suis admirative. Jeune demoiselle, vous, tu es extrêmement courageuse. Je vis avec la même maladie que toi, et je comprends parfaitement ce que tu vis. Tu as une plume magique, et un courage incroyable. Bravo Hermine.
    Je te souhaite le plus belle des vies.

  2. j’ai découvert ton blog via Alors Voilà (j’aime balader ma souris sur les noms des commentateurs pour découvrir les blogs, les histoires des gens qui viennent le lire …) et je découvre en même temps cette maladie. Je t’admire ! la douleur, même passagère est vraiment encombrante, alors tous les jours !
    je t’encourage à poursuivre tes efforts pour vivre ta vie et tes rêves …. et je te souhaite de la réussite et du bonheur ! <3

  3. Comme ce doit être difficile. A 17 ans, et même après on ne devrait pas vivre cela.
    Je vous embrasse, et je souhaite que la douleur s’apaise

  4. Tu écris si bien. Il faut affronter, apprivoiser et accepter chaque douleur pour arriver à voir au-delà. Tu as parfaitement su l’exprimer. Ton courage t’honore.

  5. Wow, déjà ta façon d’écrire est magnifique… mais ta façon de vivre est magique. Je ne te connais pas, mais je reconnais ta force intérieure, peut-être que tu te dis que tu es faible, mais c’est tout le contraire. Tout le monde a des avantages et des désavantages. Tu as une maladie, c’est dommage, surtout que souvent quand quelque chose nous arrive on se demande « pourquoi moi? » On se dit qu’on aimerait beaucoup mieux être dans la vie de quelqu’un d’autre, mais on a tous notre petit enfer quotidien. Moi, je fais des crises d’angoisse, ça me fout la trouille et j’ai peur de la prochaine, car on dirait que la vie s’enlève de mon corps à chaque fois. Mais jamais je ne me suis plainte de mes crises, car il y a tellement pire, et pour des personnes comme toi, qui n’ont pas choisi la maladie, et qui doivent vivre avec à chaque jour, je me dis que ma situation n’est pas si pire. Je te souhaite bon courage, je t’admire beaucoup ^^

  6. ton histoire me fait penser à celle du Petit Prince de Saint-Exupéry, avec ton corps qui, à la façon du renard, te dit « apprivoise-moi pour que nous soyons amis ».
    Toute une aventure … celle de ta vie, que je te souhaite jolie.

  7. Je venais faire un tour par chez toi, te laisser un petit message d’amitié et je découvre ce billet. Mon envie de te souhaiter un doux week-end reste coincé dans ma gorge serrée. Je me prends à rêver à un cocon de douceur, silencieux et serein, où t’envelopper pour t’offrir un instant de répit. J’imagine un espace temps où tu ne souffrirais plus, ou le contact de ton corps ne serait que plaisir, voir banalité ordinaire.
    Je ne peux, ne serait-ce une seconde, imaginer ce que tu traverses, heure après heure. Mes paroles de soutien et d’amitié sont bien vains à te soulager, n’est-ce-pas.
    Je pense à toi, très fort.
    Amicalement, Ingrid.

Réagissez !